Aux pieds de la plus haute montagne d’Arménie s’étend une terre rude, rocailleuse et infertile. Ici vivent, en un combat permanent contre les éléments, des hommes austères et farouches dans une dizaine de villages aux noms évocateurs et poétiques. L’hiver, quand la neige rend inaccessibles les accès si l’on ne dispose pas d’au moins un tracteur ou un traîneau, ils sont presque complètement isolés. Quand reviennent le printemps et le dégel, les maisons, les étables, les routes et les chemins se trouvent submergés en quelques heures par des torrents boueux et impétueux, charriant dans leurs flots lourds et noirs des blocs de glace et de roche arrachés à la montagne, semant la panique parmi les animaux et les hommes. Ces villages sans cesse reconstruits, sans eau courante, fragiles, tellement qu’on les croirait éphémères, ne sont rien de plus que des haltes pour les hommes et leurs bêtes, où ils passent ensemble l’hiver auprès de la chaleur d’un feu de bouses de vache séchées. Dès le retour des beaux jours, ils repartent, accompagnés de leurs troupeaux de moutons et de vaches, protégés par des chiens entraînés à combattre, vers les pâturages des pentes de l’Aragatz, où règnent les loups, ou installent des ruches sur les plateaux arides et vendent leurs productions de miel sur le bord de la route. Perdus au cœur des montagnes d’Arménie, ce sont des kurdes, ni chrétiens ni musulmans, fidèles anciens d’une « secte » issue du zoroastrisme, que l’on surnomme « les adorateurs du Soleil », car ils pratiquent le culte du feu. Aussi les Yésidis entretiennent, dans chacun de leur temple, une flamme éternelle. Ils sont environ quatre vingt milles, installés incertainement dans ces vallées inaccessibles du sud-caucase depuis le XV ième siècle, fuyant les exactions ottomanes. Oubliés dans ce bout du monde, ils ont ainsi, malgré l’intégration dans le puzzle caucasien, puis dans l’URSS, conservé intactes leur coutumes et leur spiritualité.