
vincent HUGUENIN
Rougiville : conglomérat vivant d’arbres debout et de pensées couchées
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« Le Repas au bord du silence » Ils avaient marché depuis l’aube, les semelles lourdes de rosée et les jambes pleines de dénivelé. La forêt, d’abord bavarde avec ses oiseaux matinaux, s’était peu à peu tue, comme pour mieux écouter leur souffle. Quand ils s’arrêtèrent, ce fut sur une roche tiède, ronde et bosselée — un vieux conglomérat figé au milieu de la mousse, comme un banc sculpté par le temps. Autour, les pins dressaient leur cathédrale de vert. La lumière, tamisée par les aiguilles, tomba doucement sur le pain, le fromage, les fruits qu’ils sortirent avec des gestes simples. Il n’y eut pas de mots, pas tout de suite. Juste le craquement d’un emballage, un soupir soulagé, le bruit discret d’un couteau sur une pomme. Le vent passait de temps à autre, effleurant les joues et soulevant des fragments d’odeurs : résine, humus, un peu de feuillage chaud. C’était un de ces moments suspendus, que personne ne pense à prendre en photo, mais que le corps retient longtemps : le goût du comté un peu salé après l’effort, la fraîcheur de la pierre dans le dos, et ce silence particulier qu’on ne trouve que loin de tout — ce silence plein, habité, presque vivant. Ils repartirent plus tard, sans précipitation, laissant derrière eux seulement l’empreinte d’un pique-nique invisible. Mais la roche, elle, se souvenait.